Alford : Synthèse de benzofurannopyrones
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Thèse présentée à la Faculté des sciences de l'Université de Paris

pour obtenir le grade de Docteur de l'Université

par


Sidney Christopher Alford

 

Synthèse de nouvelles benzofurannopyrones (a et g) dérivées de l'euparine

 

soutenue le 12 juin 1966

 

devant la commission d'examen :

Normant, H., président

Mentzer, C., Maitte, P., examinateurs

 

 

L'euparine (I) a été isolée pour la première fois par Lloyd des racines d'une eupatoire (Eupatorium purpureum) aux environs de 1870. Par la suite la même substance a été extraite également des racines de E. cannabinum qui renferme jusqu'à 0,5 % par rapport au poids sec. La structure, établie dès 1959 par Robertson et coll., vient tout récemment d'être vérifiée par une synthèse totale. Il existe dans le règne végétal un certain nombre d'analogues structuraux de l'euparine : la trémétone (II), l'hydroxytrémétone (III), la. déshydrotrémétone (IV) et le toxol (V).

 

Ces quatre substances ont été découvertes récemment (1961-1963), ce qui explique le petit nombre de publications consacrées à leur étude.

L'eupatoire (E. cannabinum) est une plante très commune dans nos régions. Elle se multiplie d'une façon particulièrement aisée au bord des rivières et dans les terrains humides. D'autre part, étant donné que ses racines sont relativement riches en euparine-, nous avons pensé que le procédé d'extraction décrit dans la littérature devait nous permettre de préparer assez facilement cette substance. Auparavant, et à une époque où le mémoire de Ramachandran et coll. n'avait pas encore été publié, nous avions entrepris des essais de synthèse totale qui s'étaient révélés fort laborieux et qui d'ailleurs n'ont pas été poursuivis jusqu'au bout.

 

Le principal objectif de nos recherches a été la synthèse de dérivés de l'euparine qui,.tout en n'ayant pas encore été découverts dans la Nature, ont cependant beaucoup de chances d'être élaborés par certains végétaux. Il s'agit en particulier de systèmes hétérocycliques comprenant dans leur molécule un noyau furannique ou dihydrofurannique substitué en position 2 par un radical isopropényle ou isopropyle. Si on connaît dès maintenant un certain nombre de représentants du groupe des furocoumarines, en particulier la marmésine et la nodakénétine (VI), la xanthoxylétine (VII) et la peucédanine (VIII), tous les quatre apparentés à 1'euparine, aucune furoflavone naturelle de cette famille n'a été isolée jusqu' à présent.

 

On pourrait à la. rigueur considérer 1'isoartocarpine (IX) comme un précurseur d'un représentant de ce groupe, dans lequel la méthylation du groupement OH en 7 aurait empêché la fermeture du cycle furannique. La synthèse de tels composés n'a pas non plus été décrite - à notre connaissance au moins. Aussi avons nous pensé que l'obtention d'édifices moléculaires de ce type pourrait présenter un intérêt car ces substances sont susceptibles d'être utilisées comme échantillons de référence, au fur et à mesure de leur isolement en partant des végétaux.

 

Les raisons qui nous permettent de croire que les furoflavones existent effectivement dans les plantes sont d'ordre biogénétique. En effet les filiations entre les orthohydroxyacétophénones et les flavones par l'intermédiaire des chalcones correspondantes sont connues depuis longtemps. Jusqu'ici, chaque fois que le squelette d'une telle cétone était signalé dans un genre déterminé, il a pu être établi que la flavone apparentée existait également dans la Nature. Ainsi le squelette de 1'orthohydroxyacétophénone (X) correspond à celui de la flavone non substituée, isolée du genre "Primula" (XI) ; celui de la résacétophénone (XII) et de la phloracétophénone (XIV) correspondent respectivement au pratol (XIII) et à la chrysine (XV).

 

En fait, le nombre de cétones connues étant beaucoup moins élevé que celui des flavones, chacune de ces cétones correspond effectivement à une pluralité de flavones diversement substituées sur le noyau B et C par des groupements hydroxyles ou méthoxyles. Ces considérations nous permettent de prévoir l'existence de toute une série de furoflavones ayant la structure (XVI), et dont la synthèse partielle est le but principal de ce travail.

XVI

 

Notre thèse a comme sujet l'étude de la préparation d'une série de substances hétérocycliques apparentées à l'euparine, acétophénone naturelle qui a été isolée de plusieurs espèces d'Eupatorium. Ce genre est bien représenté parmi les plantes ayant une action physiologique suffisamment notoire pour avoir pris place dans la médecine populaire. Nous pouvons citer : Eupatorium cannabinum ("Eupatoire chanvrine, Eupatoire d'Avicenne, Pantagruelion"), E. purpureum (E. verticillatum Willd., "Gravel-root"), E. Perfoliatum, E. ayapana ("Aya-Pana") et E. crenatum.

 

E. cannabinum : répandue dans toute l'Europe tempérée et l’Afrique du Nord ; une décoction de la racine fraîche est employée comme purgatif et une infusion des feuilles comme tonique. E. purpureum : les racines servaient dans le Nord de l’Amérique comme astringent et diurétique. E. perfoliatum: abondant en Floride où les feuilles et les fleurs occupaient une place dans la Pharmacopée Officielle comme tonique et vermifuge. E. aya-pana : employée en Amérique du Sud comme stimulant ; laxative en forte dose. E. crenatum : fait partie d'un groupe de plantes dites "guacos" employées dans l’Amérique du Sud contre les morsures de serpents et les piqûres de scorpions.

 

Par analogie avec d’autres acétophénones élaborées par des plantes d'où l'on a extrait également les dérivés flavoniques correspondants, nous pouvons soupçonner l'existence, à l'état naturel, de flavones dérivées de l'euparine, bien qu'aucune n'ait été isolée jusqu'ici, à notre connaissance tout au moins. Nous espérons que leur isolement et leur identification éventuels seront facilités par nos recherches.

 

Celles-ci ont eu pour objet la préparation de quelques substances flavoniques, ainsi que de quelques coumarines, ayant toutes en commun le groupement isopropénylbenzofuranne ou ses dérivés partiellement ou complètement hydrogénés. Or, la synthèse totale de ces composés hétérocycliques est rendue difficile par les nombreuses étapes et les mauvais rendements observés pour l'obtention de la partie benzofurannique de ces molécules. Il nous a paru, par conséquent, très avantageux de prendre 1'euparine naturelle comme matière première ou, encore mieux, son dérivé tétrahydrogéné qui, par l'absence de liaisons conjuguées, devait simplifier beaucoup les réactions.

 

Notre premier chapitre concerne l'extraction de 1'euparine de l'Eupatorium cannabinum et sa conversion en tétrahydroeuparine. Nous avons pu arrêter la réaction d'hydrogénation à mi-chemin, ce qui nous a permis d'isoler un dérivé nouveau : la dihydroeuparine. Sa non-identité avec l'hydroxytrémétone, isolée de l'Eupatorium urticaefolium, indique qu'il s'agit d'un isomère structural auparavant inconnu. La condensation de 1'euparine avec plusieurs aldéhydes aromatiques est également décrite dans le premier chapitre. Une série de nouvelles chalcones en est résultée. Outre ces chalcones, 1'euparine nous a permis de préparer d'autres corps hétérocycliques qui ne correspondent pas à cette catégorie. En particulier, elle s'est condensée avec l'aldéhyde cinnamique. Dans ce cas il nous a fallu modifier le mode opératoire car les conditions utilisées pour la formation des chalcones ne donnaient pas de résultat. Or, c'est en employant la pipéridine comme catalyseur que la condensation s'est produite le plus facilement ; le produit ainsi obtenu, de même que ses dérivés, montre une nette ressemblance avec des roténoïdes. Nous pensons qu'il serait très intéressant de généraliser l'emploi des catalyseurs du type Knoevenagel pour la préparation des chalcones en général. Au cours de ce travail nous avons souvent fait appel au réactif de King et White qui donne des couleurs intenses avec les substances flavoniques. Une modification de cette réaction nous a fourni une méthode nouvelle permettant de discerner, parmi les o-hydroxyacétophénones, celles qui sont susceptibles de se transformer en chalcones.

 

La formation de dérivés de la tétrahydroeuparine constitue le sujet de notre deuxième chapitre. Sa condensation avec des aldéhydes aromatiques s'est montrée aussi facile qu'avec 1'euparine elle-même, mais les chalcones ainsi formées se prêtent plus facilement que celles de l'euparine à des transformations ultérieures. Elles se montrent, par exemple, susceptibles de se cycliser en flavanones. Une nouvelle technique a été mise au point pour réaliser cette isomérisation instantanément et à froid. Elle présente l'avantage d'éviter le long reflux habituellement nécessaire et d'augmenter le rendement. En ce qui concerne la transformation des chalcones en flavones nous avons utilisé trois méthodes : la méthode classique due à Kostanecki - qui, selon la température et la nature des substituants, conduit parfois à des aurones - et deux méthodes plus récentes pour servir de preuve : l'une par monobromuration de la flavanone, puis déshydrobromuration ; l'autre par oxydation de la chalcone au moyen de l'anhydride sélénieux. L'eau oxygénée est utilisée pour l'oxydation d'une chalcone en flavonol.

 

Dans le troisième chapitre nous traitons des coumarines dérivées de l'euparine, de la dihydroeuparine et de la tétra-hydroeuparine. La réaction de Boyd et Robertson nous a con-duit à des hydroxy-4 coumarines qui se sont prêtées à la formation des dicoumarols par condensation avec du formol. Nos essais en vue de remplacer cet hydroxyle en 4 par un atome d'halogène n'ont donné, que des produits mal définis ; la tosylation, par contre, s'est montrée facile et, par réduction d'une coumarine tosylée, nous avons obtenu une coumarine non substituée en position 4, très apparentée aux coumarines naturelles telles que la marmésine, la nodakénétine et la peucédanine.

 

Le quatrième chapitre décrit la préparation d'une flavone par condensation thermique d'un phénol, 1'isopentyl-4 résorcine, avec le benzoylacétate d'éthyle selon Mentzer. On peut considérer ce phénol comme un dérivé hexahydrogéné de l'euparine. A ce titre, il nous a paru rationnel de l'inclure dans notre travail. Obtenu directement par synthèse, sa condensation avec l'ester représente une méthode élégante qui nous a permis de préparer une nouvelle flavone en une seule étape. La transposition inattendue de celle-ci en phényl-4 coumarine en présence d'acide sulfurique nous a fait entrevoir un programme de recherches très intéressant. C'est, en, effet, le premier exemple que nous connaissions d'une double scission C-C et C-O de telle façon que la partie C6-C3 reste intacte.





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